You and I, you, you and I
Oh yeah, I'd rather die without you and I

Les bras surchargés de livres, je m’avançais vers la forteresse qui entourait l’endroit où je vivais et grandissais depuis mon enfance. Mes parents m’avaient souvent interdit de sortir des murs qui me protégeaient contre les gens supposément inférieurs à nous, mais depuis que j’étais toute jeune que j’échappais à leurs règles illogiques et sortait de la ville fortifiée assez régulièrement. Comme ils me faisaient confiance, ils n’avaient jamais questionné les gardes, et une chance… La plupart d’eux me connaissaient comme étant la prunelle de l’un des protégés du roi, et mes parents m’auraient sans doute fait surveiller très étroitement s’ils savaient à quel point j’avais développé une indépendance face aux règles de sécurité qu’ils tentaient de m’imposer. Aujourd’hui, je m’étais rendue à la bibliothèque de l’université de la ville, afin d’aller chercher de quoi m’instruire un peu. Je mourrais d’envie d’y étudier de manière officielle, mais mes parents m’avaient toujours refusé ce privilège, n’y voyant aucun intérêt. Si j’avais été un homme, sans doute qu’ils auraient accepté, mais en tant que femme, mon rôle n’était pas d’être savante et intelligente, mais bien de savoir agir avec grâce. Si seulement ils avaient accepté le fait que j’aime apprendre, sans doute aurais-je pu solliciter l’aide de l’un de nos serviteurs pour accomplir la tâche de rapporter ces lourds bouquins chez moi. Mais comme je devais étudier dans le secret, j’étais obligée de m’en charger moi-même…

En passant la porte de la forteresse, je réalisai à quel point j’étais épuisée. Pour cause : j’avais marché plus d’une heure sous un soleil puissant sans boire ne serait-ce qu’une gorgée d’eau. Je me sentais étourdie, mais continuais de marcher malgré tout, me disant qu’une fois chez moi j’aurais le temps de bien me reposer de cette longue marche. Mon corps en décida toutefois autrement, et dans un moment de faiblesse je trébuchai et échappa tous mes livres sur le sol. Moi-même étalée de tout mon long, je pinçais les lèvres, me maudissant pour mon instant de faiblesse, tout en menant une main à ma tête pour tenter de reprendre mes esprits.

Lorsque je sentis un bras autour de moi, je devinai aussitôt à qui il appartenait. Combien de fois avais-je vu ces bras? Combien de fois, surtout, les avais-je imaginés se posant sur moi, comme en cet instant précis? Je connaissais Thésis depuis l’enfance, ainsi je l’avais vu grandir, se métamorphoser en l’homme qu’il était désormais. Je le connaissais par cœur. Lovée dans ses bras, un peu trop contente du résultat de ma chute, je partis dans un éclat de rire, essayant de ne pas trop m’en faire avec l’allure que je devais avoir : l’effort causé par le transport de mes livres et la surprise de la chute devaient avoir considérablement rougi mon visage, et je savais que ma chevelure n’était présentement pas à son meilleur vu les vents présents aujourd’hui. J’aurais pu m’en faire, ce n’était pourtant pas le cas : Thésis aussi me connaissait par cœur, il devait bien voir au-delà de ces détails peu avantageux. « Alors on fait la grâce au sol maintenant? » À nouveau, j’éclatai de rire, hochant frénétiquement la tête. « Oui, c’est une nouvelle règle du roi, tu ne l’as pas entendue? Chaque personne doit désormais prier le sol au moins une fois par jour! » Je parlais d’un ton joyeux, peu soucieuse d’être entendue. Chacun ici me connaissait et savait que je n’étais absolument pas une menace pour le roi, même si je le taquinais un peu. Comme j’avais passé mon enfance dans son château à le côtoyer presqu’à tous les jours, je le considérais un peu comme un oncle.

« Tu viens d’où? Tu étais hors de la ville, pas vrai? » La manière dont on m’avait élevée avait fait de moi une jeune femme polie et réservée, regardante des convenances. Avec Thésis cependant, je me laissais aller, parce que notre relation n’avait rien à voir avec ce qui est socialement acceptable ou non. Nous nous connaissions depuis toujours, et même si nous avions été plutôt éloignés durant ces derniers mois, je n’arrivais pas à oublier notre complicité lorsque j’étais auprès de lui. Ma curiosité naturelle dépassait donc mon envie de bien paraître.

Je l'avais soulevai de terre comme si de rien était. Avant, étant plus jeune, je n'étais pas un homme. J'étais un gamin frêle qui n'aurait jamais frappé une mouche. Maintenant, je lève tout ce que je veux sans vraiment forcé. Ce qui c'est passé? Kalea est apparue dans ma vie. Elle m'a donné de la force et m'a permis de changer. De prendre réellement ma place dans ce foutu monde. Je déteste mon père, je déteste le roi et ses idées. Je n'aimais pas être dans la ville fortifiée, mais quand je croisais Noah, c'était différent. Elle était tout ce qui me rattachait à une vie quelque peu heureuse entre ses murs. Elle me permettait, tout comme Era, à tenir ma couverture, ma double vie. Mon côté fils à papa. Je devais faire croire à tout le monde que j'appréciais mon père, quand c'est totalement faux. J'étais bon joueur faut croire, puisque personne ne le savait et ne l'avait découvert.

Je la gardais toujours contre moi, pourquoi? réflexe. Je fis tourner ma pomme dans ma main en souriant. Je me reculai d'elle, me détachant. Je croquai à nouveau dans ma pomme. Je secouai la tête un peu et posai mon sac au sol en le regardant. « Oui, c’est une nouvelle règle du roi, tu ne l’as pas entendue? Chaque personne doit désormais prier le sol au moins une fois par jour! » J'eus un rire en l'entendant. Je me penche et ramasse un livre à la fois. Je les regarde et j'ai un sourire à chaque fois. Je les empile sur ma main et me tourne vers elle. Je ne sens pas mon bras se contracter et mes muscles se gonfler, c'est un automatisme. Sa joie déteignait sur moi, je ne pouvais pas m'empêcher de sourire. Elle me faisait rire avec ses histoires étrange. J'avais pratiquement envie de me coucher au sol, mais non, je devais garder cet air de noble.

Je la regarde, elle est rayonnante, ça m'étonne presque. Avec les plans de la rébellion, je n'ai jamais eus de temps pour elle. Je n'y pensais même pas. Pourquoi? Kalea, elle prenait toute m tête, toute mes pensées. Faut dire que j'avais négligé Noah et à le voir toute souriante comme ça, je m'en voulais atrocement. Je n'aimais pas négliger, ceux qui me sont importante. « Tu viens d’où? Tu étais hors de la ville, pas vrai? » Je sors de ma tête et la regard. J'affiche un sourire et laisse tomber mon sac au sol, toujours en tenant les livres. Je fouille dans ma poche et en sortit le collier que j'avais trouvé plus tôt. Je le gardai dans ma poche avec ma main. « J'ai remplit mon sac de fruits et de breloques, tiens j'ai trouvé ça. » Je le sors de ma poche et le lui montre en souriant.

J’observais Thésis qui ramassait mes livres, un sourire toujours bien présent sur mes lèvres. Il était vraiment serviable et gentleman, à dire vrai il avait toujours agi avec beaucoup de galanterie à mon égard et c’est sans doute ce qui m’avait tant plu chez lui. Il le faisait d’ailleurs avec un naturel désinvolte, ce qui était encore plus charmant : il aurait suffit qu’il me fasse sentir qu’il agissait ainsi par obligation ou par convenance pour que le charme se brise totalement. Ce n’était pas du tout le cas, par chance. « Merci.. », dis-je simplement lorsqu’il eut terminé de m’aider à ramasser ma pile de bouquins.

« J'ai remplit mon sac de fruits et de breloques, tiens j'ai trouvé ça. » Le ton désinvolte avec lequel il disait cela! Et dire que j’avais toujours cru que sortir de la ville était un acte rebelle de ma part! Thésis venait du même milieu que moi, il savait comment la vie était lorsqu’on était surprotégé par ses parents. De savoir que s’échapper de la ville ne représentait pas vraiment une aventure pour lui, mais bien quelque chose de banal, faisait en sorte que je me sentais un peu idiote, comme si la délivrance que je ressentais à chaque fois que je m’éclipsais n’avait pas lieu d’être. Je n’en glissai cependant aucun mot, me contentant de porter mon attention sur le collier qu’il me tendait. « Oh! » Je ne pouvais m’empêcher de m’extasier sur le bijou : il était magnifique. L’agencement des couleurs, l’expertise avec lequel il avait été tissé, il était parfait. Je ne pus m’empêcher de tendre une main vers le collier, l’effleurant du bout des doigts. « Il est superbe. À qui vas-tu l’offrir? » J’avais conscience que ma question était indiscrète, mais je n’en ressentais aucune gêne. « Aurais-tu une prétendante, par hasard? » Peut-être allais-je un peu trop loin. Mais j’avoue que cette question me torturait l’esprit depuis bien longtemps déjà. Même lors de notre adolescence, j’avais toujours su que je n’étais pas la préférée de Thésis : la complicité qu’Era et lui avaient à l’époque était trop particulière pour que j’aie la même importance à ses yeux. Mais depuis qu’on s’était quelque peu éloignés lui et moi, je ne cessais de me demander si une autre femme m’avait encore fait rétrograder dans son esprit…